Sommet de la Francophonie : “Il y va de la dignité des malgaches”, selon José Vianey
Ancien ambassadeur de Madagascar auprès de l’UNESCO et sociologue de formation, José Vianey daigne enfin sortir du silence pour réagir à l’évolution de la situation sociopolitique actuelle. Les vindictes populaires, le processus de réconciliation nationale ou encore l’avènement du Sommet de la Francophonie ont fait l’objet de son intervention dans le quotidien Ma-LAZA.
Ma-LAZA : La série de vindictes populaires semble prendre de l’ampleur dans plusieurs zones du pays. En votre qualité de sociologue, comment concevez-vous ce phénomène ?
Vianey José : Ces actions, qui s’apparentent à la justice populaire, ne sont en fait que l’expression d’une société en crise. Crise d’identité ou encore crise d’autorité si bien que, dans les temps forts, comme celui qui s’est passé à Sambava, à Vatomandry ou à Mampikony, elles perdent toute référence à la valeur centrale de la conception malgache qu’est «la sacralité de la vie humaine» et perdent, en conséquence, le respect de l’autorité de l’Etat au profit de la dictature de masse dont le leitmotiv est le fameux «ni foi, ni loi !». C’est tout simplement de l’anarchie et c’est inacceptable dans une démocratie républicaine !
On doit rétablir l’ordre, d’abord, par la fermeté et le respect des lois, ensuite, par une vaste campagne de sensibilisation ou d’éducation citoyenne. Toutes les autorités locales, du chef de Région aux chefs Fokontany, en passant par les parlementaires ou élus locaux, doivent s’y atteler car c’est l’essence même de l’Etat qui est en jeu.
Ma-LAZA : Mananjary a également été le théâtre de lynchage suite à la profanation d’un site sacré. Dressez-vous le même topo sur les autres cas de vindictes populaires ?
Vianey José : En ce qui concerne le cas spécifique de Mananjary sur l’histoire de transgression d’un «fady», cela relève plutôt du domaine religieux et culturel et, peut-être, un sujet de débat passionné entre les partisans d’un prosélytisme chrétien et ceux du traditionalisme ancestral. Toutefois, dans le cadre du processus de réconciliation nationale, nous devrions ouvrir une piste de réflexion sur les notions de fady ancestraux plutôt liés à des lignages ou des clans spécifiques et de fady ethniques qui sont généralement rattachés à l’histoire de peuplement ou de construction politique de ces localités. Cette démarche ethnologique pourrait aboutir à l’élaboration éventuelle d’un «recueil national» de ces interdits, encore vivaces dans certaines régions de l’île.
Une initiative qui pourrait faciliter l’intégration inter communautés dans le respect mutuel et éviter, dans le futur, des incidents pouvant miner la cohésion sociale.
Ma-LAZA : Madagascar accueillera le XVIème Sommet de la Francophonie dans quelques jours. Est-ce réellement une opportunité pour le peuple malgache ?
Vianey José : Au-delà des éventuelles retombées économiques, culturelles ou encore diplomatiques, le Sommet de la Francophonie revêt une dimension internationale. Certes, on approuve ou non sa tenue, selon les motivations ou le degré de conscience de chacun, mais la fierté nationale doit prendre le dessus. C’est un honneur pour notre pays d’être l’hôte d’un tel événement à dimension diplomatique multilatérale. Nous devons non seulement mettre en exergue notre valeur identitaire qu’est le fihavanana, en réaffirmant notre appartenance à la grande famille francophone très riche en diversité, mais également notre sagesse ancestrale, d’après l’adage de nos ancêtres «ny tokantrano tsy ahahaka». J’exhorte donc chaque citoyen ou acteurs sociaux à faire preuve de réalisme et de conscience d’appartenance communautaire, car il y va de la dignité du pays et de son peuple. Nous avons commis tellement d’erreurs d’appréciation dans le passé et nous continuons aujourd’hui d’en payer le prix…
Ma-LAZA : une manifestation est annoncée pendant la tenue du Sommet pour dénoncer l’absence de liberté d’expression. Êtes-vous opposé à une telle initiative ?
Vianey José : Personnellement, je suis favorable à la démocratie et à la liberté d’expression. D’ailleurs, dans mon intervention sur la situation politique et le débat sur la refondation nationale, j’étais parmi ceux qui ont proposé la mise en place d’une structure permanente de dialogue, comme mode de régulation de conflit social ou politique. Mais, je suis également convaincu que c’est seulement dans la stabilité, la paix et l’unité et non dans la division que nous pourrions retrouver le chemin du développement économique et social.
Recueillis par Marc A.
