Point de vue : L’injustice populaire gagne du terrain

L’injustice populaire gagne du terrain

La scène se passait sur la RN 6, dans un petit village entre Antsohihy et Ambanja. Après une beuverie, 3 hommes rentraient chez eux sur une seule bicyclette. Ils étaient bien ivres et zigzaguaient sur la route. A un tournant, ils ne virent pas un 4×4 qui venait en face. Le choc est inévitable. Les 3 hommes perdirent la vie. Le chauffeur, un « mpiandry », s’est arrêté et a voulu emmener les 3 hommes à l’hôpital. Mais les gens du village, accourus très vite sur les lieux de l’accident, n’ont pas voulu l’entendre de cette oreille. Une voix, une seule voix, s’est élevée : « mort à l’assassin » et les coups de machette ont commencé à pleuvoir. En quelques minutes, il ne restait plus du « mpiandry » qu’un amas ensanglanté. Ses compagnons de route, ayant vu la tournure dramatique de la situation, ont, les uns, fui à travers champs, et les autres ont pu démarrer la voiture et rejoint un poste de la Gendarmerie nationale à quelques kilomètres de là. Accompagnés des gendarmes, ils sont revenus sur les lieux de l’accident. Il ne restait plus sur la route que le corps sans vie du chauffeur, démembré et recouvert d’un drap, et quelques personnes qui ont bien voulu expliquer aux gendarmes ce qui s’était passé. Selon leurs dires, ceux qui ont tué le chauffeur étaient des jeunes de passage dans le village et qui avaient participé à une fête qui se tenait là. L’enquête n’a jamais déterminé à qui appartenaient les bras qui ont tué et découpé le chauffeur.
Une scène de ce genre, on en rencontre de plus en plus, même dans les villes où les gens sont sensés être plus « civilisés ». C’est la justice populaire qui est proche de la loi du Talion « œil pour œil, dent pour dent ». Elle est valable en cas de vol, de viol, de dispute qui tourne mal ou d’accident, notamment sur les routes nationales, où la responsabilité de la victime n’est jamais engagée. Il n’y a pas de constat, pas d’explication. Tout de suite, l’instinct primaire de rendre coup pour coup et de tuer l’auteur du meurtre.
L’explication que l’on entend souvent est que la population n’a plus confiance ni aux éléments des forces de l’ordre et encore moins à la Justice. Elle veut le règlement de l’affaire là où le forfait a été commis et au moment même. Hier encore, lors d’un accident mortel à Anjanahary, une émeute a été évitée de peu avec l’intervention de l’Emmoreg. Des proches ( ?) de la victime ont déjà failli mettre le feu au véhicule qui a écrasé le petit garçon de  7 ans. Le chauffeur, lui, a profité de la confusion pour prendre la poudre d’escampette. Et bien lui en prit parce que la foule, en colère, l’a cherché parmi les voyageurs… évidemment pour lui régler son compte.
La justice populaire est devenue une injustice populaire. Les gens n’hésitent plus à s’attaquer même aux gendarmes… armés. Le pays est arrivé à un point tel que plus personne ne fait confiance à personne.

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